Il aide la femme à prendre sa mallette et à descendre du train.
Elle lui tend son sac en strass.
- Tenez. Les clés sont à l’intérieur. C’est une Cooper crème.
Simon s’étonne de sa confiance.
- Elle est garée de ce côté. Dit-elle en se dirigeant vers une allée.
Simon aperçoit la voiture et l’ouvre à distance.
Il s'installe au volant, un peu gauche n'ayant pas conduit depuis cinq ans.
- Vous m’indiquez la route ?
- Direction Helena.
Simon quitte le parking.
Après une dizaine de kilomètres, la femme ferme les yeux et s’assoupit.
Simon trouve la situation on ne peut plus étrange.
Il pourrait être un psychopathe en quête de jolie femme, la proie serait facile.
Cette femme est décidément très naïve ou carrément inconsciente. A moins qu’elle ne soit un peu dérangée, se dit Simon.
Avec tout ce que l’on voit dans les journaux de nos jours, se faire ramener par un inconnu chez soi à une centaine de kilomètres était quand même audacieux.
Malgré tout, Simon se détend. Finalement, il préfère que la femme se soit endormie pour éviter une conversation non voulue.
Par chance, des panneaux indiquent régulièrement Townlake, et il peut continuer à rouler sans déranger sa passagère.
Enfin, arrivé à une intersection, un panneau indique Townlake à vingt kilomètres.
Après une vingtaine de minutes, ils arrivent sur la petite bourgade.
Simon ralentit.
La femme, comme avertie par un signal interne relié à son cerveau endormi, se redresse.
- Un problème ?
- Par où faut-il aller maintenant ?
- A droite. Vous n’habitez pas ici ?
- Si ! Enfin, pas exactement…
- Comment cela ?
- J’ai loué une maison au bord du lac et c’est la première fois que je mets les pieds ici.
- Oh, je suis désolée. J’aurai dû m’en douter à votre façon d’hésiter. Bon, alors c’est à droite puis la troisième à gauche. Ce n’est qu’à quatre kilomètres.
Tiens, elle ne dormait pas alors ?
- D’accord.
Un silence s’installe pendant une minute.
- Vous avez dit que vous avez loué la maison du lac ?
- Oui. J’ai bien dit cela. Vous la connaissez ?
- Oui. J’habite sur l’autre rive. Je suppose que vous parlez de la maison ocre ?
- Je dois vous dire qu’en la louant, je n’ai pas demandé la couleur de la façade. Répond Simon en souriant.
Elle rie aussi.
- Non, bien sûr. Ici, nous la nommons ainsi car personne n’a connu les gens qui l’ont occupée.
- Oh, vraiment ? Voilà, un excellent sujet de roman.
- Pourquoi, vous êtes écrivain ?
- Précisément. Simon regrette déjà de s’être vendu.
- Sans blague. Vous êtes connu ? Qu’avez-vous écrit ?
- Et bien, j’écris des polars.
- Ne me dites pas que vous êtes Simon Kane ? Dit-elle un sourire en coin.
- Ben si.
- Ah ! Mais c’est pour ça que votre visage me disait quelque chose ! Eh bien Monsieur Kane, je vous présente votre voisine borgne, dit-elle en se moquant d’elle-même.
- Enchanté Madame la voisine. C’est là !
Ils se trouvent devant un portail en fer forgé de quatre mètres de long sur deux de haut, et au premier coup d’œil, on peut voir qu’il ne sort pas de chez un grossiste mais plutôt de chez un maître artisan ferronnier. Les initiales CK ornent le haut.
- Bienvenus à Xanadu ! Plaisante Simon.
- C’est une réplique du fameux portail dans le film Citizen Kane. Dit la femme comme si elle venait de dire une banalité.
- Fichtre ! Cela a dû vous coûter une petite fortune ! Simon réalise sa bourde. Heu…désolé, cela ne me regarde pas. Je voulais simplement dire que c’était foutrement génial et osé comme idée.
- Mon mari est un passionné de cinéma. Dit-elle en cliquant sur un petit boîtier sorti de la boîte à gants, pour ouvrir le portail automatique.
- Ah, dans le film, le portail n’était pas électrique ! Simon rit pour forcer sa plaisanterie.
Une allée de graviers blancs mêlés à des cailloux phosphorescents de cinquante mètres, mène à une cour devant la maison où Simon gare la Cooper.
- Laissez la voiture ici, mon mari ira la garer plus tard au garage. Venez, vous n’allez pas partir sans boire un verre, je vous dois bien cela.
- Oh, c’est très gentil mais j’aimerai me rendre à la maison du lac pour m’installer. Il est déjà vingt et une heure trente.
- Mon mari va être déçu de ne pas vous rencontrer. Et comment allez-vous vous rendre là-bas ? A pied ?
- Vraisemblablement, dit Simon, en regardant en face la façade ocre, je n’ai que huit cents mètres à faire. Je passerai vous voir ce week-end.
- Entendu, c’est noté. A bientôt et encore merci pour votre gentillesse.
- C’est tout naturel. Bonne soirée.
Simon prend son sac sur la banquette arrière et marche vers le portail resté ouvert. Passé ce dernier, celui-ci se referme dans son dos, non sans un grincement lugubre.
Pour des gens qui ont les moyens, ils devraient faire graisser leur portail.
Il se retourne après avoir fait quelques pas.
Au loin, dans l’encadrement éclairé d’une fenêtre, se dessine la silhouette d’un homme debout. Une ombre féminine s’approche et l'embrasse dans un mouvement lent et gracieux.
Simon ne peut s’empêcher de sourire à la vue de cette image du bonheur.